La nouvelle chasse aux sorcières

Les phénomènes de persécution des minorités religieuses sont connus de tous temps, par exemple avec l’affaire des Bacchanales à Rome en 187 avant JC ou même, à lire Aristophane, le procès de Socrate accusé d’avoir voulu introduire une nouvelle religion. Ces persécutions furent particulièrement intenses avec les religions monothéistes qui toutefois tolérèrent la pratique de quelques cultes anciens auxquels elles se sentaient apparentées.

Au l9’ siècle la révolution française amena l’abandon des persécutions contre les protestants et l’intégration des juifs à la Nation même si les prêtres réfractaires furent traités avec une extrême brutalité. Avec la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 en France toute discrimination semblait devenue impossible et pourtant il y a quelques décennies apparurent en France et dans divers pays occidentaux des campagnes dirigées “contre les sectes”.

Le mot « secte » a une double origine groupe minoritaire s’étant séparé (en latin secare) ou groupe ayant suivi (en latin sequi) un leader. En ce sens le Christianisme est une « secte » juive et l’histoire du Protestantisme est une suite ininterrompue de dissidences diverses. Par généralisation, on désigne parfois comme secte des mouvements religieux très minoritaires, ainsi les juifs furent qualifiés de « secte » judaïque et on parle aujourd’hui de « sectes » néo-païennes.

Ainsi donc combattre les « sectes » apparaît compréhensible pour un pays se réclamant d’une religion d’Etat et n’acceptant pas ou peu le principe de la liberté de conscience. Mais lutter contre les « sectes » n’a aucun sens dans un pays laïc tel que la France. Le mot sectaire a un sens un peu différent, désignant une tournure d’esprit dogmatique et intolérante. Curieusement la plupart des membres des organisations qualifiées de « secte » en France semblent plutôt moins sectaires que la moyenne.

Même si des campagnes « anti-sectes » sont apparues dans beaucoup de pays, les Etats-Unis en premier, elles n’ont pas reçu de soutien officiel et elles ont actuellement tendance à régresser. Malheureusement tel n’est pas le cas en France, même si ce pays se qualifie abusivement de pays des droits de l’homme. Parmi les pays européens, la France apparaît comme un de ceux qui les respectent le moins et ce dans tous les domaines et il n’est pas étonnant qu’elle soit régulièrement condamnée, pour des motifs variés, par la Justice européenne. Néanmoins il est surprenant qu’un gouvernement y ait créé une “mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires”. Pourquoi pas des missions interministérielles de lutte contre le judaïsme ? Le protestantisme, voire le catholicisme ? Pourquoi pas contre le socialisme ? Le radicalisme ? La franc- maçonnerie ? Il est vrai qu’une campagne anti-maçonnique feutrée tend actuellement à se renforcer lentement mais sûrement.

Il est encore plus surprenant que le gouvernement qui créa cette étrange “mission” soit à direction socialiste, ce parti ayant eu jusqu’à présent une attitude plutôt libérale en matière de croyances ou de moeurs et s’étant ainsi attiré pas mal de sympathie chez les juifs et les protestants. Pourquoi donc a-t-il mis la puissance officielle au service d’organisations privées ? Et pourquoi donc l’opposition n’a-t-elle pas combattu vigoureusement ces initiatives fâcheuses ?

En réalité les organisations qualifiées de « sectes » par les mouvements anti-sectes forment un ensemble disparate regroupant des gens n’ayant aucun rapport dans leurs croyances, certaines ne pouvant en rien être considérées comme de nature religieuse, tel Ecovie, association écologiste extrémiste qui semble avoir disparu. Elles ont cependant deux points communs d’une part, elles se sont attirées la haine de certains groupes de pression pour des raisons difficilement compréhensibles, d’autre part elles recrutent essentiellement dans les classes moyennes plus ou moins influencées par le christianisme ou l’indifférentisme.

Mais qu’ont donc fait les « sectes » pour s’attirer tant de haine ? Certes, une tragédie comme celle de l’Ordre du Temple solaire semble justifier la prudence mais justement il s’agit d’un cas tout à fait isolé et qui ne semble guère avoir retenu l’attention des “pourfendeurs de sectes”. Si on constituait un ensemble artificiel formé par l’OTS et des associations sans rapport aucun partis politiques, clubs sportifs, etc. serait-on en droit de supposer ces derniers comme dangereux et suicidaires et ce contrairement à toutes les apparences ? Certes, certains mouvements religieux peuvent être extrêmement dangereux ; nous pensons par exemple à la mouvance islamiste des amis et admirateurs de Ben Laden. Mais justement les associations qui en sont plus ou moins proches ne semblent jamais avoir attiré l’attention des organisations anti-sectes. Il y a la prudence et la témérité, mais quand même Il est de bon ton d’insister sur le fait qu’il ne faut pas confondre Islam et islamisme radical et on ne peut qu’être d’accord. Mais tout de même l’islamisme radical est une branche dévoyée et pervertie de l’arbre qu’est l’Islam alors que les sectes ne sont pas les branches d’un arbre mais plutôt un ensemble de plantes indépendantes.

Trois commissions parlementaires d’enquête ont consacré leurs travaux à ce prétendu phénomène sectaire comme s’il n’y avait pas eu pour nos parlementaires de sujets plus importants. Pourquoi diable deux marteaux-pilons pour écraser quelques insectes fort distincts ? Contentons-nous d’examiner le résultat des travaux de la première. Cette commission a siégé sans motif aucun à huis clos alors que son sujet d’étude n’avait rien à voir avec la défense nationale ou même avec des enquêtes judiciaires délicates. Elle n’a pas écouté les seules personnes qui auraient été susceptibles de l’éclairer, à savoir les sociologues et les historiens des religions qui en réalité ne font partie d’aucune secte mais sont objectifs et sans passion. Si l’on en croit les extrémistes « anti-sectes », ils sont complices des « sectes ». Complices de quels crimes ? Celui d’exister purement et simplement. La commission a établi une liste de près de 200 sectes à partir d’un rapport fourni par les renseignements généraux, cette police qui n’a aucune vocation, contrairement aux scientifiques dont nous venons de parler, de s’occuper de mouvements supposés religieux dont certains semblent ne pas exister ou être réduits à quelques personnes. En revanche aucune allusion n’est faite aux organisations islamistes radicales. Il paraît certain que les RG, incompétents par nature, ont travaillé sur des informations extérieures. Mais fournies par qui ? La commission a également travaillé en écoutant les principales organisations anti-sectes, quelques rares représentants d’organisations dites sectaires et quelques repentis, anciens membres de « sectes » qui avaient des comptes personnels à régler. Par contre il ne semble pas qu’elle ait entendu d’anciens adhérents qui ont gardé de leur passage un bon souvenir même si leur croyance a évolué.

En résumé, le travail de cette commission a été bâclé et n’importe quel enquêteur scientifique le rejetterait comme dénué de toute valeur de ce point de vue. Le secret abusif dont son élaboration a été entourée a permis de cacher sa médiocrité extrême et à certains de le signaler, de s’y référer, sans provoquer immédiatement des objections.

Il est certain que la grande majorité de la classe politique s’est laissée intoxiquer par un lobby extrêmement actif et dont les motivations sont obscures. Elle a ainsi consacré du temps et de l’argent (celui des contribuables bien sûr) à des choses qui dans le pire des cas méritaient tout juste d’être signalées. Après tout, que pèsent les victimes, trop réelles, de l’Ordre du Temple solaire par rapport à celles de la violence routière par exemple ? Et pourquoi accepter un amalgame totalement injustifiable et inspiré des pires méthodes staliniennes ? Cette échappatoire a permis à des hommes politiques d’éviter de se pencher sur des problèmes très réels dont ils n’avaient pas ou ne voulaient pas avoir la solution. Mais il y a une autre très lourde responsabilité, celle de la majorité de la presse et surtout de certains de ses dirigeants. Trop souvent dans les périodes creuses, on recherche un sujet à sensation. Cela n’a rien que de très normal mais à tout le moins cela exige que soit faite une enquête sérieuse et objective. Cela a été parfois fait, mais trop rarement. Généralement les journalistes, tout comme certains policiers ou politiciens, se contentent de demander des informations aux seules organisations anti-sectes.

Comment cette situation absurde finira-t-elle ? La France n’est pas isolée dans le monde, déjà aux Etats-Unis certaines inquiétudes se sont manifestées. D’autre part un pays membre de l’Union européenne, la Suède, vient d’accorder à l’Eglise de Scientologie le statut de religion au même titre que l’Eglise Luthérienne. Ainsi donc, la France risque de se trouver dans une situation intenable dans quelque temps. A ce moment-là, on n’entendra plus parler de secte et l’attention de tous se portera sur d’autres fantasmes.

Pierre Barrucand Médaillé de la résistance Maître de recherches honoraire au CNRS

http://www.la-nouvelle.chasseauxsorcieres.fr/index.html